Avant d’être réalisateur de films pour de grands festivals (Jazz à Vienne, Jazz in Marciac…), Jean-Marc Birraux fut un photographe de jazz fort apprécié des initiés : nombre de ses photos figurent dans les anciens numéros de revues spécialisées (Jazz Magazine…) et autres pochettes de disques. Avec un art très sûr de la mise en scène et, parfois, de la distanciation humoristique, il a su saisir des traits de caractère insoupçonnés (un Martial Solal totalement « relax ») ou sublimer des qualités bien connues (le jeu méditatif d’un Keith Jarrett).
S’il est vrai que tout musicien de jazz, en tant qu’artiste du spectacle vivant, aime forcément la scène, grâce à Jean-Marc Birraux, on s’aperçoit que le jazzman, en apparence discret le plus souvent, n’hésite pas à se mettre en scène et que, généralement, il est loin de manquer d’humour : Sun Râ est à son affaire pour jouer les divinités courroucées ; Carla Bley s’est, au contraire, métamorphosée en une modeste Cendrillon, Marvin Gaye (souvent jazzy et carrément jazz avec son Romantically Yours de 1985) mime un strip-tease pour chauffer gaiment la salle, tandis que Dave Liebman s’amuse de la visite impromptue d’un chat décidément mélomane.
Dans d’autres « compositions », Jean-Marc Birraux s’amuse à inverser les rôles : Martial Solal, totalement « relax » côté public, affiche ici une attitude tellement inhabituelle comparée à la tension et à la complexité de son jeu pianistique. Le jeune Winton Marsalis est aussi passé du côté du public : caracolant dans les gradins des arènes de Nîmes, il cherche à savoir dans quelle direction pourra bien souffler le Mistral ce soir au moment du spectacle. Avec Michel Legrand à la trompette et Dizzy Gillespie au piano, c’est l’inversion des instruments cette fois, chacun des musicien espérant peut-être explorer l’imaginaire musical de l’autre. Quant à Ornette Coleman il nous fait croire qu’il a failli devenir vidéaste mais que le destin lui a réservé une autre voie plus « sonore ».
Toutefois, Jean-Marc Birraux est sensible aux dialogue des arts, ce qu’illustrent ses photos de Miles Davis ou Daniel Humair qui, tous deux, ont carrément une double casquette artistique. De son côté, Jean-Luc Ponty égrène quelques notes pour s’attirer la bienveillance du génie du lieu peint à fresque, tandis que Steve Lacy mime, à travers gestes, posture et couleur, une affiche du peintre américain Keith Haring.
Parfois le choix de la mise en scène permet d’effacer toute référence à la musique : Max Roach, assis sur les marches de la Madeleine, n’a plus rien du grand batteur de l’histoire du jazz, mais tout d’un élégant prêt à se rendre à un rendez-vous galant ; Petrucciani prend certaines allures de parrain mafieux (alors qu’il est naturellement un « tueur » du clavier) ; Toots Thielemans apparaît comme un paisible retraité sur la Riviera qui semble avoir découvert par hasard un harmonica trainant sur la table du restaurant.
Mais il existe enfin une mise en scène qui dévoile les vérités et souligne des qualités de ces grands artistes que sont les jazzmen : Hayes Burnett se présente comme un vrai prisonnier de sa passion pour la contrebasse ; Sonny Rollins bien qu’il soit habité par le son de son saxophone semble néanmoins, par générosité, tendre l’instrument au passant. Enfin un must dans cette galerie de portraits : celui de Keith Jarrett méditant sur ses claviers intérieurs.